Langue corse : a vargugna ! en
A vargugna, c'est la honte en Corse. La honte, « qui fait que l'on se rejette nous-mêmes », explique Anghjulu Canarelli à Marie-Jeanne Tomasi, la réalisatrice, avec qui il affiche une belle complicité. Anghjulu, Ange, que l'on oblige à transformer son prénom en Jean lors de ses premières années parisiennes, va longtemps naviguer bien au large de sa langue corse. Fils de paysans, il ne s'autorise pas à apprendre et les années d'internat au lycée de Sartène sont pour lui un désastre. « J'ai grandi à tâtons, comme une rame de haricots ». Il fuit le pays, la culture corse, il se sent poussé hors-de-lui par son père, dont il a honte à cause du corse. « Tu m'a écarté comme le tison, tu m'as rejeté comme la graine sèche hors du sillon, » dit-il à celui qui était charbonnier, et auquel il s'adresse dans sa création théâtrale, face au cercueil paternel. C'est seulement vers 40 ans que Anghjulu se réppropriera sa langue natale, revenant dans son village de Lévie, se mettant au théâtre, puis écrivant, notamment le recueil A Petracori, prix du livre corse en 2010. Aujourd'hui, Anghjulu Canarelli cultive son jardin, arpente les villages assoupis dans sa 2CV rouge, et peut se poser sereinement face à la caméra de Marie Jeanne Tomasi. « On nous a estropiés, en nous privant du corse, alors que les lieux parlent toujours le corse et que si tu l'utilises, la langue pousse et repousse d'elle-même. » Il dit cela en bouturant des plantes, en élaguant des branches, en se penchant sur de s fleurs endémiques.
C'est en français, cette langue qu'il qualifie à nombre reprises d'intruse, qu'il citera en conclusion Vassilis Alexakis, l'écrivain grec : « Chaque langue que je découvre garantit à sa façon ma liberté. »
A ces mots, s'ajoutent la façon bien à elle que Marie-Jeanne Tomasi a de filmer son île : ciels lourds d'orages, châtaigniers morts, villages en ruines. Loin, si loin, des clichés de cartes postales. Mais avec un amour total.